Normes ISO et configuration des sites amazighs : entre reconnaissance et contradictions

kab ou kab-dz pour norme ISO

Le développement et le webmastering pour les sites amazighs pose une question cruciale : comment configurer un site en respectant les normes internationales tout en affirmant une identité distincte ? La norme ISO est censée standardiser les codes de langue et de pays, mais dans le cas des langues amazighes et en particulier du kabyle, elle est loin d’être un allié.

Les codes de langue : choisir « ber », « amz » ou « kab » ?

Les codes de langue ISO 639 permettent d’identifier les langues pour le web et l’informatique.

Le code de la langue à utilisé est de préférence code ISO 639-1 à 2 lettres.

En 2025 les langues tamazight ne sont pas encore représentées il faut improviser :

  • « ber » : Code ISO 639-2 et 639-3 pour l’ensemble des langues amazighes (berbères).
  • « amz » : Une alternative parfois utilisée pour le tamazight standardisé. Nous trouvons aussi la variante azm
  • « kab » : Le code spécifique pour la langue kabyle.

Dans le cadre du webmastering, si l’on veut un site spécifiquement kabyle, il faut privilégier « kab » au lieu de « ber » ou « amz », qui sont trop génériques. Cela garantit une meilleure indexation et une reconnaissance plus fine par les moteurs de recherche et logiciels multilingues.

Le code « ber » est utilisé pour désigner la macro-langue amazighe, la langue mère transfrontalière, censée représenter une langue unifiée. Cependant, à ce jour, le tifinagh, premier alphabet de l’histoire du monde, n’est toujours pas normalisé sous le code « tif », ce qui limite son adoption et son interopérabilité dans les standards numériques internationaux.

Alors que le kabyle est censé être représenté par « kab » selon la norme ISO 639-3, plusieurs variantes circulent, créant de la confusion dans les logiciels et plateformes numériques :

  • « tq » pour « Taqvaylit » : un code utilisé par certains sans reconnaissance officielle.
  • « taq » (censé désigner le tamasheq), parfois utilisé à tort pour le kabyle.

Le piège du « .dz » pour les sites kabyles

Beaucoup de sites se revendiquant « indépendantistes » continuent d’utiliser « kab_DZ » comme code local pour les fichiers de traduction .mo, ce qui les inscrit toujours dans le cadre algérien. Cette variante s’est imposée par défaut dans certaines applications, liant systématiquement le kabyle à l’Algérie.

Cette incohérence montre à quel point l’indépendance numérique est négligée : même dans des projets qui se veulent autonomes, les standards imposés par l’État algérien restent utilisés par défaut, faute d’une véritable réflexion sur une alternative viable.

L’option logique serait d’adopter des extensions plus neutres.

Certains militants ont tenté d’obtenir une extension propre aux pays amazighs pour les noms de domaine, mais sans succès. En attendant, le .kab n’existe pas, et nous devons nous adapter.

Normes ISO : une reconnaissance toujours en retard

Le problème des standards internationaux est leur lenteur à reconnaître les réalités culturelles. Alors que le kabyle est largement utilisé en ligne et enseigné, il n’existe pas encore de code pays spécifique, ni de reconnaissance complète dans les logiciels et claviers par défaut.

Cela signifie qu’il faut souvent bricoler en utilisant des alternatives :

  • Paramétrer les sites avec « kab » pour la langue et coder pour éviter les difficultés d’indexation dans les moteurs de recherche.
  • Militer pour une meilleure reconnaissance dans les normes ISO.

Les sites amazighs, et en particulier kabyles, doivent jongler entre standards internationaux et affirmation identitaire. Il est crucial d’éviter les pièges de la dépendance aux normes étatiques et de se structurer de manière indépendante en ligne.

Dans l’idéal, une reconnaissance officielle de l’extension « .kab » et une mise à jour des normes ISO pour mieux intégrer les réalités amazighes seraient un grand pas en avant. En attendant, l’important est de contourner les limitations et d’adopter les bonnes pratiques techniques pour exister sans compromis.

Peu d’acteurs du web kabyle s’intéressent réellement à ces questions de qualité et de standardisation. L’attention est souvent monopolisée par des opportunités lucratives comme la traduction, l’entraînement des modèles linguistiques (LLMs) et la participation à des projets internationaux sous l’égide de grandes structures. Cette dynamique pose problème : pendant que d’autres fixent les règles, les Kabyles et les autochtones amazighs restent dépendants des choix technologiques extérieurs.

Le combat amazigh, autrefois porté par une dynamique transnationale, semble aujourd’hui s’être fragmenté. Les Kabyles, qui étaient à l’avant-garde de cette lutte identitaire, ont progressivement abandonné la question amazighe pour se focaliser sur une kabylité qui reste néanmoins enfermée dans l’algérianité. C’est le serpent qui se mord la queue : on revendique une identité distincte tout en restant piégé dans le cadre imposé par l’État algérien.

Sur le plan numérique, ce paradoxe se manifeste à travers l’absence de structuration et de concertation entre les acteurs du web et des TIC. Résultat : le kabyle peine à s’imposer sur Internet, et Tamazight unifiée, censée être un projet fédérateur, s’est transformée en un outil contrôlé par les États, vidant ainsi de son sens la revendication initiale.

Alors que les années 1980 et 1990 ont vu une mobilisation forte autour de la question amazighe, les dernières décennies ont marqué un glissement progressif vers une revendication strictement kabyle. Aucun projet structurant ne vise à créer un véritable écosystème kabyle autonome sur le web. Ainsi, si l’on parle beaucoup d’indépendance politique, il n’existe aucun effort réel pour une indépendance numérique et culturelle.

Un chaos numérique : absence de coordination entre les acteurs du web amazigh

Contrairement à d’autres langues minorées qui ont su structurer leur présence numérique, le monde amazigh souffre d’un manque total de concertation entre ses acteurs du web et des technologies de l’information.

  • Aucune initiative sérieuse pour harmoniser les outils numériques.
  • Aucune base de données commune pour unifier les ressources en tamazight.
  • Aucune coordination entre les développeurs, linguistes et experts en technologies de l’information et de la communication TIC amazighs.

Chaque pays, chaque région, et parfois même chaque acteur, avance dans son coin, rendant impossible toute véritable structuration numérique à l’échelle amazighe.

Exemple d’optimisation de l’indexation en Kabyle sur WordPress

Pour qu’un site en kabyle soit bien référencé sur Google et les autres moteurs de recherche, il est essentiel d’adapter correctement les paramètres linguistiques et techniques de WordPress. Cependant, les erreurs fréquentes dans la configuration nuisent à la visibilité des sites kabyles, les rendant difficiles à trouver en ligne.

Les deux extensions les plus utilisées pour gérer des sites multilingues avec WordPress Polylang et WPML, n’intègrent pas le kabyle ni aucune autre langue amazighe par défaut. Cela oblige les utilisateurs à ajouter la langue manuellement.

1. Choisir le bon code de langue

Par défaut, WordPress ne propose pas le kabyle dans ses options de langue. Il faut donc l’ajouter manuellement via des plugins comme Polylang ou WPML. Le choix du code est crucial :

  • Éviter « kab_DZ », qui rattache le site à l’Algérie et limite son référencement international.
  • Utiliser « kab » seul, qui permet une indexation plus large et cohérente avec l’identité kabyle.

2. Structurer les URL multilingues

Si le site est bilingue ou multilingue, les URL doivent être bien pensées :

  • 🔹 Exemple correct : monsite.com/kab/ pour la version en kabyle.
  • 🔸 À éviter : monsite.com/dz/kab/ qui impose une dépendance algérienne.

Des plugins permettent de gérer ces aspects et d’ajouter les balises hreflang, essentielles pour signaler la langue aux moteurs de recherche.

3. Configurer correctement WordPress et les Fichiers .mo/.po

WordPress utilise des fichiers .mo et .po pour les traductions. Par défaut, de nombreux sites kabyles adoptent « kab_DZ », ce qui maintient une association avec l’Algérie. Pour éviter cela :

  • Modifier manuellement les fichiers de traduction en les renommant « kab.mo » et « kab.po ».
  • Vérifier que le fichier wp-config.php contient define(‘WPLANG’, ‘kab’);

4. Utiliser un clavier et une typographie adaptés

L’écriture en kabyle utilise l’alphabet latin, mais les accents spécifiques (ɣ, č, , etc.) peuvent poser problème pour certaines polices. Il est recommandé d’utiliser une police compatible comme Noto Sans ou Charis SIL pour éviter des erreurs d’affichage qui pénalisent l’indexation.

5. Ajouter le Kabyle à Google Search Console

Google ne reconnaît pas encore officiellement le kabyle comme langue indexable. Cependant, on peut forcer son identification en :

  • Déclarant « kab » dans le fichier sitemap.xml.
  • Utilisant lang="kab" dans le code HTML des pages.
  • En soumettant manuellement le site à Google Search Console pour améliorer son indexation.

Les faux positifs dans les outils de crawl pour l’indexation des sites kabyles

Des outils comme Nibbler ou Screaming Frog SEO Spider peuvent attribuer des scores erronés aux sites kabyles pour les raisons suivantes :

  • Il arrive que « kab » soit mal interprété ou considéré comme une erreur.
  • Il peut considérer l’alphabet kabyle comme un problème de lisibilité, surtout si des caractères spéciaux (ɣ, ṭ, ḍ) sont mal interprétés par les polices utilisées.
  • Des liens de retour manquants sont signalés même lorsque les balises hreflang sont correctement configurées.
  • Les moteurs de recherche peuvent considérer les pages en kabyle comme des variantes du français ou de l’arabe au lieu d’une langue distincte. Sans balise « canonical », il arrive que Google indexe la mauvaise version de la page ou ignore la version kabyle.
  • L’un des problèmes les plus pénalisants est l’absence de liens de retour entre les différentes versions d’un site, ce qui empêche Google de comprendre leur relation et de bien les référencer. Un site en kabyle doit avoir des liens vers ses autres versions linguistiques (français, anglais, etc.) avec les bonnes balises. Sans cela, Google peut ignorer la version kabyle et privilégier d’autres langues.
  • Les sites bilingues utilisant « fr » et « kab » peuvent voir des incohérences signalées dans l’audit, alors que la configuration est correcte.
  • Si un site utilise « kab_DZ », l’outil peut le rattacher systématiquement au marché algérien, réduisant sa portée internationale.

Tamazight sous l’égide des États : un dévoiement organisé

Tamazight unifiée, qui devait être un projet transnational porté par les peuples amazighs, a été récupérée par les États pour servir leurs propres intérêts. Au lieu d’une standardisation ouverte et inclusive, on assiste à une fragmentation orchestrée :

  • L’alphabet Tifinagh de l’IRCAM (Maroc), imposé comme standard officiel au Maroc, mais inexploitable pour d’autres peuples amazighs, notamment les Kabyles qui continuent d’utiliser l’alphabet latin.
  • Une cooptation par les États qui décident quels aspects de la langue standardiser en fonction de leurs propres intérêts politiques.
  • Un enseignement institutionnalisé qui tue la spontanéité de l’usage numérique, rendant Tamazight plus rigide et moins adaptée aux nouvelles technologies.

Un manque de culture numérique qui pèse sur l’avenir du Web amazigh et kabyle

Un des freins majeurs à la structuration d’un web kabyle indépendant est le manque flagrant de culture numérique. Ce phénomène n’est pas propre aux Kabyles mais plus largement aux Algériens, qui sous-estiment les technologies et les considèrent avant tout comme des outils pratiques plutôt que des leviers stratégiques.

Au lieu d’investir dans le développement de solutions technologiques propres – plateformes éducatives, outils linguistiques, espaces collaboratifs – l’essentiel de l’activité numérique se résume à du commerce en ligne, souvent axé sur des produits culturels comme les bijoux et les robes kabyles. Je précise quand même que certains projets e-commerce en diaspora se distinguent par leur pertinence et ont développé une stratégie marketing efficace et un positionnement familial attractif, renforçant ainsi l’engagement des clients et la fidélisation. Si ce type de marché contribue à la visibilité de la culture kabyle, il ne suffit pas à structurer un véritable écosystème numérique capable de porter une dynamique d’indépendance.

Le problème est d’autant plus grave que les décisions technologiques sont souvent déléguées à des acteurs extérieurs, qu’il s’agisse des grandes plateformes américaines ou des initiatives portées par des États étrangers. Résultat : les Kabyles, au lieu de maîtriser leurs propres outils numériques, se contentent de les utiliser passivement pour des intérêts immédiats, notamment économiques.

Ce manque de vision stratégique empêche toute structuration sérieuse du web kabyle et contribue à la marginalisation linguistique et culturelle. Tant que la technologie sera perçue uniquement comme un moyen de commerce et non comme un enjeu identitaire et politique, aucune avancée réelle ne sera possible.

Stéphane ARRAMI – Responsable de Publication et fondateur de Kabyle.comPrésident du Conseil National Kabyle

Lyon, le 12 février 2025


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